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Interview Jean-Pierre Joly, directeur du marché du porc breton (MPB) :«Ce n'est pas le niveau de production qui a provoqué la crise!»

Pourquoi cette crise porcine? Qui est concerné? Y-a-t-il surproduction? Pourquoi la production ne diminue pas et quelles sont les perspectives d’évolutions du marché? Réponses et analyse de Jean Pierre Joly...

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   Web-agri : On observe depuis des mois des prix de «crise» pour les éleveurs de porcs français. Quelle est la situation au niveau européen?
Jean-Pierre Joly :
Tout d’abord, il faut bien définir ce qu’est un prix de «crise». C’est un prix sensiblement inférieur au prix de production. Comme aujourd’hui ou le prix de production se situe dans une fourchette de 1,30 à 1,50 Euros/kg en Europe.
  

 
(© Web-agri)

Par rapport à ces coûts, nous pouvons dire que début 2003, tous les producteurs d’Europe sont en crise.
Par contre, la crise semble différente d’un pays à l’autre. Il est difficile de parler de la situation espagnole qui est un cas à part en Europe puisque 80% de la production est intégrée.

Dans les autres pays, la situation est difficile. Le comportement face à cette crise dépend de contraintes sociales, environnementales, des capacités à restructurer les élevages.
Par exemple, si nous comparons la France et le Danemark en terme d’élevage. En France, les cours sont bas et toute restructuration visant à réduire les coûts de production est quasiment impossible. A l’inverse, au Danemark, le monde porcin (économique, politique, technique..) a admis que la crise provoquait des restructurations, et elles se font à grande échelle. D’ailleurs en 2002, 30% du cheptel danois était dans des élevages de plus de 500 truies naisseurs-engraisseurs. Aujourd’hui, délibérément c’est ce modèle qui est développé (éventuellement même sur du multi-site) pour réduire tous les coûts intermédiaires de production.
A ceci il faut rajouter que pour le dernier exercice fiscal danois (qui se terminait en octobre-novembre), les danois ont été les seuls à exporter vers les pays tiers (du fait de la fièvre aphteuse) et ont bénéficié d’un cours sur leur exercice fiscal supérieur de 8 cents par rapport au cours français. Cette différence de 8 cents était pratiquement la perte moyenne de l’éleveur breton l’année dernière. Ce qui montre que la crise est plus récente pour les éleveurs danois!


WA : Ces prix de crise sont-ils liés à une surproduction?
JP Joly :
Non, la production européenne en 2002 a été équivalente à celle de 2001 à 1% près! Une variation de production aussi minime n’a jamais entraîné  jusqu’à ce jour de variation de cours comme enregistrée depuis 1 an (-21%). Ce n’est pas le niveau de production qui a entraîné la crise. Donc, c’est forcément la demande.  Plusieurs éléments lui ont été défavorables.
La consommation intérieure, qui n’était pas au niveau où elle aurait dû être (à cause de la reprise de consommation de bœuf qui a provoqué une concurrence entre viandes) et le prix consommateur qui est forcément dissuasif.
L’exportation pays tiers subit quant à elle depuis 2001 la concurrence du Brésil (notamment sur le grand marché russe). Elle n’a pas agi directement sur les volumes, mais tous les prix ont été tirés à la baisse face à cette concurrence. Pourtant, au Brésil aussi les producteurs sont en crise alors que leur coût de production est inférieur de 50% à celui des européens. Au Brésil, le coût de production est de l’ordre de 0,60 euro/kg vif et sur les derniers mois (depuis l’automne) le prix de marché est environ de 0,53 euro/kg vif. Pour les éleveurs ce n’est donc pas mieux, par contre en concurrence internationale si!


WA : Est-ce vraiment le prix qui est dissuasif pour la consommation intérieure?
JP Joly :
Il suffit pour s’en persuader de regarder l’évolution de la vente de viande de porc en 2002. La quantité globale reste stable mais avec une progression de 10 à 15% de la part des hard-dicounter en viande. Les consommateurs sont réactifs au prix : si ce n’est pas cher, on en mange plus! 2 ou 3 % de variation de consommation peuvent faire s’emballer les prix. De meilleures incitations autour de la viande auraient permis des cours plus proches des coûts de revient pour les éleveurs!

WA : Pourquoi la production ne baisse-t-elle pas ?
JP Joly :
Ceci est dû à des réactions mécaniques. Dans les périodes difficiles, les éleveurs améliorent leur productivité avec de meilleurs résultats techniques partout. C’est vrai en Europe, en Amérique du Nord, au Brésil…De plus, la haute génétique n’est pas encore partout, celui qui y a accès peut encore progresser. Par exemple aux USA, le nombre de truies a baissé de 2,5% mais avec une productivité qui a augmenté de 4%. La productivité globale de porcs n’a donc pas baissé.

WA : Comment le marché peut-il évoluer?
JP Joly :
La tendance globale sur les Pays Tiers est au développement de la consommation. La Russie a déjà beaucoup progressé avec une augmentation du pouvoir d’achat, la consommation se développe également dans les Pays de l’Est au fur et à mesure de leur entrée dans l’Europe et le Japon augmente tous les ans son niveau d’importation. Ce sont des marchés porteurs. La question est de savoir qui va les fournir. 
Le Brésil exporte actuellement 475 000 tonnes et enregistre sur les 2 premiers mois de 2003 une progression de 71% par rapport aux deux premiers mois de 2002. Le Canada a exporté 800 000 tonnes en 2002 et annonce des objectifs au million de tonnes pour 2005. L’Europe exporte actuellement 1,5 million de tonnes.
Ce n’est pas la concurrence de l’Amérique du Nord qui est la plus à craindre car le coût de production y est presque équivalent. La crise est égale pour le Canada, les USA et l’Europe. Mais on se demande comment le Brésil va se positionner et s’il va continuer à fournir à l’export. Le modèle brésilien s’oriente vers l’intégration. Quand on gère l’intégration, on ne gère plus les mêmes critères de rentabilité. En 1995, aux USA, quand la production s’est développée vers l’intégration, les objectifs étaient de 120-130 millions de porcs contre100 millions à l’époque. Finalement, la production n’a pas bougé, il y a seulement eu substitution de production. Que va-t-il se passer au Brésil? Verra-t-on la même chose? Personne n’est capable de le dire à l’heure actuelle.

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